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Théâtre Pinko /
Les Dix Principes Du Web Deux

Dominique Cardon : Un petit essai sur Facebook... Mettre en discussion un petit texte de synthèse rédigé à partir de réflexions avec mes collègues d'Orange (Christophe Aguiton,Jean-Samuel Beuscard, Maxime Crepel, Bertil Hatt, Nicolas Pissard, Christophe Prieur) sur 10 principes essentiels du web 2.0. Le principe : 3 principes par jour, c'est parti...

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L’individualisme démonstratif.   
La visibilité comme opportunité de coopération.   
Les « amis » ne sont pas forcément des amis.   
Les communautés ne sont que des réseaux solidifiés.   
La circulation horizontale.   
La distribution d’engagements hétérogènes.   
Les « petits » sont nécessaires aux « grands ».   
La qualité par le nombre.   
Les hiérarchies produites par le comportement des autres   
Toujours rebondir !   

La réussite des plateformes relationnelles du web 2.0 (blogs, Flickr, Wikipedia, MySpace, Facebook, Twitter, etc.) repose sur 10 principes de fonctionnement essentiels. A partir des travaux de sociologie des réseaux sociaux et des études des grands graphes d’interactions, on propose une caractérisation succincte de ces règles.

L’individualisme démonstratif.    

DominiqueCardon: A l’origine de leur engagement sur une plateforme relationnelle, les personnes sont d’abord motivées par une raison personnelle : parler d’elles, montrer leurs photos, leurs goûts ou leurs connaissances. Le web 2.0 prend appui sur le développement croissant d’un individualisme démonstratif qui prescrit à chacun de se singulariser des autres en affichant ses petites différences. Aussi paradoxal soit-il, c’est donc le renforcement de l’individualisme dans un contexte qui valorise la reconnaissance symbolique des singularités de chacun qui est au principe de la coopération numérique.

La visibilité comme opportunité de coopération.    

DominiqueCardon: En rendant publiques des productions individuelles autrefois réservées au cercle des proches, les participants aux sites du web 2.0 offrent un ensemble de prises qui rend possible une mise en relation, un échange ou une coopération avec d’autres. La coopération est donc une conséquence émergente de l’engagement individuel des personnes. Elle est opportuniste, peu intentionnelle, souvent fragile et temporaire. Les participants découvrent chemin faisant de nouvelles raisons de partager et de faire des choses ensemble. Mais la condition essentielle pour que ces coopérations potentielles se réalisent est que les individus choisissent préalablement de rendre publiques des productions, des informations, des données, explicites ou implicites, les concernant.

Les « amis » ne sont pas forcément des amis.    

DominiqueCardon: Parmi les différents signes identitaires qu’affichent les participants sur les sites du web 2.0, la liste de leurs relations (contacts, amis, etc.) constitue l’un des principaux vecteurs du développement viral des usages. Cependant, le carnet de contacts affiché sur ces sites est extrêmement divers, multiple et proliférant. Tous les « amis » ne sont pas des amis et il importe pour comprendre les différents usages de ces plateformes d’être attentif à la diversité des formes de capital relationnel qu’accumulent les individus. Par exemple, sur Skyblogs ou FaceBook, les participants affichent de petits réseaux de contacts qui sont principalement constitués de personnes connues dans la vie réelle, alors que sur MySpace ou Flickr, les participants exhibent des listes extrêmement longues de contacts qui, la plupart du temps, ne sont que des « connaissances numériques ».

Les communautés ne sont que des réseaux solidifiés.    

DominiqueCardon : Il est souvent abusif de parler de « communautés » dans l’univers du web 2.0. De fait, la toile des réseaux de contacts et d’échanges qui lient les personnes les unes aux autres se densifie parfois autour de pratiques, de goûts ou d’activités partagés. Lorsque se forme un « paquet » de nœuds fortement liés entre eux, les participants s’identifient, s’organisent et se structurent en un groupe qui peut prendre une forme communautaire. Mais il existe une très grande variété de formes collectives sur les plateformes du web 2.0 qui ont des architectures, des modes de gouvernance et des trajectoires très différentes. En deçà de la forme « forte » de la communauté, ce sont souvent des « coopérations faibles » organisées en collectifs provisoires, imparfaits et labiles qui, par leur souplesse, leur multiplicité et leur vista, sont à l’origine des usages les plus innovants du web 2.0.

OlivierZablocki : Moralité c'est une véritable escroquerie intellectuelle que d'utiliser dans ce cas le mot « communauté ». C'est un dégradation volontaire du sens commun. Aurait-on idée de parler de « communauté » pour désigner une foule qui se presse sur une plage de l'Atlantique au mois d'août ?

S'il existe une définition juridique du rivage, il n'en existe à ce jour aucune de la plage, « les plages relèvent plus d'une définition géologique que juridique » a répondu récemment un ministre à une question posée par un député.

Ce rappel du droit n'est pas anodin. Les dictionnaires proposent plusieurs variations du sens du mot « communauté » mais qui affichent une réelle unité :

Sens 1 : Caractère de ce qui est commun à plusieurs personnes ou choses.

Sens 2 : Groupe de personnes vivant ensemble et/ou ayant des intérêts communs. Synonyme société Anglais community

Sens 3 : Association de plusieurs Etats. Ex La Communauté européenne.

Sens 4 : Régime matrimonial où la totalité ou une partie des biens des époux est mise en commun.

Dans tous les cas, on voit qu'il faut qu'il y ait "un" bien commun à différencier naturellement "du" bien commun en général. Or il n'existe pas de bien commun qui n'ait un statut au sens juridique du terme. Les « pseudo-communautés » dont il est question ici n'ont aucun « bien commun » qui puisse être défini juridiquement, autrement dit elles n'ont aucun objet et par suite aucun statut. Ce sont des ensembles fluctuants de gens sans aucun droit sauf celui de se noyer dans des conditions générales d'utilisation surréalistes.

A ce stade, il est temps de se demander à qui profite le fait de supposer une personnalité communautaire à une collection d'individus que l'on est incapable de définir juridiquement et qui se trouve de fait sans objet ?

Chacun d'entre nous entrevoit la réponse, j'imagine... Sans doute cela profite-t-il au propriétaire du « café de la plage » où l'on consomme en espèces sonnantes et trébuchantes et dont le patron serait bien amusé si son comptable lui évoquait la « communauté » des consommateurs accoudés au comptoir. D'ailleurs, je l'entends rire d'ici.

La circulation horizontale.    

DominiqueCardon: La recherche d’information et la navigation sur les plateformes du web 2.0 se fait rarement sous la forme d’un moteur catégoriel. Elle est surtout horizontale, les personnes cheminant à travers leur réseau étendu d’amis, puis, par extension, via les contenus et les traces mis en partage par ce cercle social élargi. Avec le développement des folksonomies, qui sont à la fois des systèmes de catégorisation et d’exploration pris en charge par les utilisateurs eux-mêmes, les plateformes du Web 2.0 se présentent comme un monde relativement plat, offrant des modes de navigation transversaux variés et des outils collectifs d’évaluation. L’univers peu hiérarchisé de ces plateformes favorise le principe de « serendipity » (ou : faire des trouvailles), amenant les utilisateurs à faire des découvertes inattendues.

La distribution d’engagements hétérogènes.    

DominiqueCardon: Alors que les « communautés fortes » de la vie réelle supportent mal la diversité des pratiques et la distribution inégale des engagements, les collectifs du web 2.0 se caractérisent par une très grande hétérogénéité des formes de participation. Les usages y sont d’abord extraordinairement diversifiés, multiples, contradictoires et foisonnants. L’intensité de l’engagement dans les plateformes se répartit ensuite systématiquement selon une loi de puissance (parfois appelé 1/10/100) qui voit une minorité de participants être très active, une portion non négligeable participer régulièrement et une grande masse de personnes avoir des usages extrêmement réduits ou quasi nuls. Les collectifs en ligne ont comme caractéristique d’être très tolérants à l’égard des personnes inactives ou peu engagées.

Les « petits » sont nécessaires aux « grands ».    

DominiqueCardon: La distribution hétérogène des engagements est aussi un principe de l’économie particulière de ces plateformes dans lesquelles les « petits » sont nécessaires aux « grands ». Les petits engagements, comme la correction de fautes orthographiques sur Wikipédia ou le dépôt de quelques photos de vacances sur Flickr, sont indispensables au travail collectif de mise en relation, de catégorisation et de production de savoir des plus actifs.

La qualité par le nombre.    

DominiqueCardon: Dans un univers d’abondance, de redondance, de multiplicité et d’ouverture, la qualité des contributions est une conséquence du nombre de participants. Sur Wikipedia, les articles les plus « sûrs » sont généralement ceux qui ont été rédigés par le plus grands nombre. Les univers massivement relationnels ont pour caractéristique de ne pas sélectionner a priori les contributeurs et les contributions, mais de les qualifier a posteriori en fonction de la réputation et de la fréquentation des contenus. En conséquence, la qualité est le résultat de la capacité d’une contribution ou d’un contributeur à attirer vers lui un nombre toujours plus important d’utilisateurs, de lecteurs ou de commentateurs.

Les hiérarchies produites par le comportement des autres    

DominiqueCardon: Le monde des plateformes relationnelles n’est pas organisé par des hiérarchies préétablies fondées sur le statut social des personnes, leur qualification, leur prestige ou leur diplôme. Il s’agit d’un monde profondément méritocratique qui récompense ceux des participants qui sont parvenus à intéresser les autres. C’est donc par leurs activités, par la mise en œuvre de leur compétence, par la visibilité qu’ils ont su donner à leurs actions, que se dessinent des hiérarchies entre utilisateurs. Les collectifs du web 2.0 ne sont cependant pas des démocraties plates, auto-organisées et rigoureusement égalitaires. Elles font même apparaître des hiérarchies très fortes, des comportements stratégiques et des appariements sélectifs, mais ces hiérarchies, souvent changeantes et mobiles, sont le produit collectif du comportement individuel des autres.

Toujours rebondir !    

DominiqueCardon : Enfin, s’il est une règle de comportement essentielle dans l’univers des plateformes relationnelles, c’est bien celle d’être toujours actif, en mouvement, prêt à s’investir dans un nouveau projet. La variabilité des engagements, dans le temps comme dans leur objet, est une caractéristique récurrente des usages. Les participants multiplient leurs identités, participent à plusieurs communautés et rebondissent incessamment d’une plateforme à l’autre. L’instabilité n’est sans doute pas seulement une conséquence de la jeunesse et de la nouveauté de ce type de services, mais une propriété plus fondamentale de l’attrait pour ces engagements relationnels.

DominiqueCardon : Ces 10 principes commandent une forme particulière d’organisation des systèmes relationnels du web 2.0 que nous appelons la force des coopérations faibles. En effet, la réussite du web 2.0 ne tient pas tellement à un "esprit communautaire", mais plutôt au fait que, dans les sociétés individualistes, les personnes produisent entre elles des liens et des relations en exprimant ce par quoi elles cherchent à se singulariser et à s’affirmer comme sujet.